Oui, tous vont à la mer.
Il y a un an, sur ce blog, j'empruntai une expression, découverte lors des années 70, au cours de mon séjour azuréen dans le vieux Comté de Nice. Remarquons que la formule," À la basta que sigue" est difficilement traduisible. On pourrait dire "À l'emporte pièce", "Comme on peut", "Sans ordre apparent", "Dans le désordre d'un capharnaüm"...
C'est un peu sur ce terrain que je vais essayer de vous parler de nos cours d'eau ; non du Nil, du Mississippi ou de l'Amazone que je n'ai jamais vus ailleurs que sur des écrans mais de nos cours d'eau, à dimensions humaines, parfois intermittents de la nature, forcément porteurs d'histoire ou de toute petite histoire, avec un regard bienveillant pour le Valech, notre petit voisin, qui a bien du mal à suivre son cours.
AIMONS NOS COURS D'EAU.
ILS SONT LES ARTÈRES DE NOS CONTINENTS.
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L'humble pont monplaisano-sioracois du Raunel, à Raunel, ci-dessus, n'a bien entendu rien de commun avec le pont Saint Bénezet immortalisé par une vieille et belle chanson d'enfants qui dit qu'on y danse tous en rond.
Image Wikimédia Commons.
Mardi soir, un des premiers pièges. Le pont d'Avignon traverse-t-il le Rhône ? On ne connaît ni l'auteur, ni l'origine de la chanson qui compte 5 siècles d'historicité. Elle devint populaire en 1853 lorsque le compositeur Adolphe Adam la reprend dans son opéra comique, Le Sourd ou l'Auberge pleine.
Mardi soir, sur France 2, lors de l'émission "Tout le monde joue", quelques esprits ergoteurs ont dû savourer la subtilité de bien des questions où l'ambiguïté fut souveraine.
Stéphane Bern et Nagui avaient beau jeu, ce mardi 9 juin, pour semer le doute. Parmi les questions, les plus audacieuses furent "La Seine coule-t-elle sous le Pont Mirabeau comme l'immortalise la poésie de Guillaume Apollinaire ? Le quizz fut certes ludique mais on pouvait cependant regretter quelques ambiguïtés. Y-a-t'il des volcans actifs en France ; bien sûr que non… quoi que ! Si l'on va dans les départements ultra-marins, la donne change. Peut-on faire le tour de France, pédestrement. Là, il fallait répondre oui ; mais, pour cette question, les interrogateurs n'ont pas précisé la France métropolitaine et continentale. Il fallait déjouer le non-dit.
L'émission était certes passionnante mais truffée de pièges.
Revenons au nom des cours d'eau. Qui a la souveraineté de leur intitulé ?
On peut, sans prendre de risque majeur, dire que ce sont les usages, souvent très lointains dans l'histoire.
Le fleuve qui arrose Paris et Rouen devrait s'appeler l'Yonne, tout comme c'est, en retenant le critère de la longueur, le Gland qui aurait dû supplanter l'Oise. Allez donc dire aux habitants de Compiègne qu'ils sont riverains du Gland, cela les surprendrait autant que si l'on dit aux Bergeracois que le fleuve qui s'écoule à leurs pieds, devrait s'appeler la Ramade, elle-même géographiquement chassée par le Chavanon ! Si on l'avait admise et retenue, avec rigueur, le cours de notre fleuve n'échouerait seulement que de quelques hectomètres pour atteindre les 500 km au Bec d'Ambès. Depuis sa genèse au lieu-dit Ribière-Vieille, sur la commune de Crocq, dans la Marche, là où les habitants sont les Croquants, les ondes ont 15 km de plus d'écoulement pour atteindre l'estuaire girondin que celles qui sourdent à La Bourboule.
Qui est décideur pour nommer ou renommer nos cours d'eau ?
A priori, personne, si ce n'est les usages locaux, l'histoire locale et… le bon sens. Pour le plus petit fleuve de France, le très agreste Veules, [1149 mètres, il atteint la Manche sur la côte d'Albâtre] il n'y a pas à s'interroger, c'est exclusivement l'affaire des 600 Veulais.
Parlons de notre petit Raunel, hydronyme controversé. Selon l'érudit André Delpeyrat, Raunel voudrait dire Petit Rhône, expression imagée que partagea d'emblée Jean Rigouste, notre expert en onomastique. On notera que l'on trouve Rhônel sur certains feuillets cadastraux saint-parduciens. Les aïeux de Monplaisant, avant l'avancée du concept d'André Delpeyrat, voyaient dans cet hydronyme, une plainte douloureuse des ondes qui filent vers l'inconnu. Le Raunel "rauna"; c'est-à-dire il geint.
Il n'y a pas si longtemps, sur d'anciennes cartes, on trouvait pour le nommer, le Ruisseau de Monplaisant.
Filons donc vers les Alpes et la Camargue et recherchons le Rhône. Il est parfois identifié à l'Éridan, qui est le nom d'un dieu fleuve de la mythologie grecque, fils d'Océan et de Thétys.
Notre second fleuve, quoique l'addition Yonne + Seine soit de quelques kilomètres plus long, le Rhône se dit en grec Ροδανός (rodanos) et l'île de Rhodes Ρόδος (rodos) ces deux termes ont la racine antique ρόδον rose. Les occitanistes dont le Capoulier Jacques Mouttet, l'identifient Ròse ou Roze pour d'autres. D'après l'étymologie, ce mot viendrait d'une racine i-e rho et voudrait dire "fort cours d'eau". Mais comme d'habitude, les linguistes ne sont pas tous d'accord !
S'il est possible, voire probable, que la Garonne ait globalement été assimilée, sur tout son cours, dans le verbe sous une forme occitane, cela n'est pas le cas pour la prononciation historique de l'hydronyme du Rhône. Dans le canton suisse du Valais, là-bas les habitants parlent le haut-valaisan ou walser, dialecte germanique ; il s'apparente à celui du Canton d'Uri en Suisse, il n'a rien de l'idiome provençal de la Camargue qui désignait Ròse, le Rhône.
Tous seront d'accord pour estimer que notre Raunel, lui, n'est qu'un infinitésimal petit Rhône. On trouvera, peut-être, surprenant, que nos voisins suisses, propriétaires du départ du Rhône qui, eux, sont germanophones, écrivent die Rhone, au masculin on écrirait der Rhone. Cette orthographie, somme toute très proche de la nôtre, met en relief que ce puissant tributaire de la Méditerranée est féminin dans le Haut-Valais et se masculinise en terre francophone ; c'est un peu dommage pour nos belles rhodaniennes. C'est un phénomène un peu similaire qui concerne l'Adour, fleuve du genre masculin, qui est féminisé par ses riverains. Cela sous-tend que ceux-ci, qui ne taquinent pas forcément la muse, le considèrent peut-être comme une rivière.
Attardons-nous sur le Valech que les dérives lexicographiques ont banalisé en anonyme "Vallée".
Le pont des Fargues, image du 5/2/2004. Ce pont, hélas, a été percuté, il y a quelques années, par un engin agricole qui a décapité son parapet. La sécurité des passants, a priori, n'est guère hypothéquée mais son élégance séculaire a été altérée.
Les hydronymes, noms de cours d'eau, se sont imposés au cours des siècles. Ils nous viennent souvent de très loin dans l'histoire, certainement beaucoup sont antérieurs à la langue française, à tel point que les maîtres de l'onomastique, parfois, disent nom d'origine inconnue. Pour certains cours d'eau, on émet des hypothèses d'étymologie, pour d'autres on s'interroge.
Quelques regards chez nos proches voisins.
La sémantique pour l'Énéa, le petit cours d'eau qui sourd à Proissans et rejoint la Dordogne à Carsac, n'est pas, comme d'aucuns pourraient le supposer, une dénomination d'un helléniste ; mais, plus prosaïquement, sa sémantique vient de l'énégat qui serait à rapprocher du verbe noyer. La Lémance qui naît, pour sa plus haute source à Prats-du-Périgord, aurait Lémantia, une origine celtique. Le préfixe lémo, orme, s'assemble avec le suffixe antia. Celui-ci se retrouve dans de multiples cours d'eau.
Notre Céou, lui, interpelle et personne n'ose être affirmatif.
Le Céou s’écrivait Sceu au XVIIIème siècle. L’étymologie de ce nom est mal connue. Il pourrait provenir du mot gaulois souco dont le sens reste inconnu. Le nom Céou pourrait être apparenté au nom Saône et Céor, une rivière de l’Aveyron. [Source https://www.bouzic-perigord.fr/spip.php?article37]
Sans entrer dans la tautologie, assemblage lexicographique qui réunit dans un mot, deux termes de même sens comme Montcucq, le cucq étant un relief, souvent les cours d'eau dans leur énoncé sont "apparentables" à l'eau tels l'Oise, la Dordogne ou le Dropt.
Il arrive que les hydronymes soient une évidence, par exemple le Rivatel, ru larzacois, qui signifie "ruisseau".
En occitan, nous butons, parfois, pour énoncer certains toponymes ainsi on glisse du français dans l'énonciation. Nos ruisseaux et rivières ont été nommés avant que le français ne prenne place dans nos terres occitanes. Ceci explique que, souvent, on bute sur les hydronymes. On cherche, peut-être, comment les ancêtres désignaient le Caudeau ou le Coly. À Grives, pour désigner le ruisseau qui traverse le village, les occitanistes disaient "lo riu" ou "lo valat" parce que le ruisseau était plutôt imparfaitement dénommé ou s'apparentait à un fossé. Cela, probablement, a fait que les anciens ne se sont pas trop attardés à lui donner un nom occitan particulier.
On n'avait aucune difficulté pour nommer "lo cosa" [la Couze] ou "lo dordonha" [la Dordogne] c'est moins évident pour trouver un substantif occitan pour le Coly. Notre langue, c'est-à-dire l'occitan, a subi moult francisations et pour cause : comment dirions-nous un audit ou un cockpit, un manager, terminologies qui n'existaient pas à l'ère d'Aimeric de Sarlat, d'Arnaut Daniel ou de Bertran de Born.
Notons que des mots ont pris une tournure occitane par dérive. Lo bolangièr n'est pas franchement occitan, c'est un rattrapage, en occitan, pour l'artisan qui cuisait les boules. Bien loin dans notre histoire, notre boulanger était le fournier, l'homme du four.
Revenons à notre cours d'eau qui de St Laurent file vers Siorac.
Les gens du terroir, depuis longtemps, l'appellent la Vallée. Cette terminologie, pour le moins, ne manque pas de singularité. En 1903, St Laurent, qui s'est appelé St Laurent sans adjonction, puis, officiellement mais pour une très courte période, aux heures enflammées de la grande Révolution, Mont Laurent, ensuite Saint Laurent-de-Castelnaud et enfin Saint Laurent-la-Vallée, sait ce que changer de toponyme veut dire. Il ne peut s'agir que d'une dérive car ce joli village de Saint Laurent n'est pas implanté dans une vallée mais sur une ligne de partage des eaux vers le Céou, d'une part et vers la Nauze d'autre part. Si l'on était en montagne, on dirait que c'est un col.
Le Valech, cours d'eau de 12 km, a naturellement plus connu, pour ses riverains, l'usage de l'occitan que du français. Il a chevauché les siècles avec pour hydronyme le Valech, mot celte qui définit un talweg humide.
La source du Valech, à St Laurent, a été recouverte, il y a bien longtemps, pour éviter la pollution de basses-cours.
Le lit de ce cours d'eau s'étire sur 12,29 Km.
De sa source jusqu'au bas du Moulin du Renard, il est exclusivement saint-laurentais sur 2 140 mètres.
Ensuite jusqu'à la confluence du Fonbounou, il sert de limite entre St Laurent et Grives sur 600 mètres.
Il est exclusivement grivois, jusqu'au bas du lieudit La Rivière, pendant 2 000 mètres.
Il sépare Grives de Carvès sous le Moulinal pendant 350 mètres.
Jusqu'aux Pouges, il est exclusivement carvésois sur 2 470 mètres.
Du creuset des Pouges jusqu'à Écoute -s'Il-Pleut, il délimite Sagelat et Carvès pendant 1 600 mètres.
D' Écoute -s'Il-Pleut au bas de Pessat, il sépare Sagelat et St Germain sur 2 020 mètres.
De là, jusqu'à quelques mètres en aval de sa confluence avec le Colprunée, il répartit Sagelat et Siorac sur 560 mètres.
Enfin, il est exclusivement sioracois sur 550 mètres
On peut donc dire qu'il sert de limite naturelle sur 5 130 mètres.
À quelques mètres près, on peut estimer qu'en ne comptant que pour moitié les berges séparatives*, que les bords RG + RD, à additionner aux segments mono-communaux d'une seule rive, on obtiendrait 2 440 mètres à St Laurent, 2 460 m à Grives, 3 450 m à Carvès, 2 350 à Sagelat, 1 010 m à St Germain et 580 m à Siorac.
* Quand un segment sert de limite à deux communes, pour l'une et l'autre, ce segment a été pris en compte seulement pour moitié, pour que l'addition dégage le résultat correspondant à la longueur totale du lit du cours d'eau.
Une micro-cascade du Valech à Grives
Au cours de la mandature 2014 / 2020, les conseils municipaux de Grives, Sagelat et Siorac ont, à l'unanimité, voté la prémisse citoyenne de redonner au Valech son nom historique. À l'unanimité, les élus saint-germinois ont repoussé cette proposition.
Les élus saint-laurentais et carvésois n'ont, a priori, pas été consultés.
Avec Siorac, 14 voix, le conseil municipal lors du vote, n'avait à la suite d'une démission, que 14 élus ; Grives et Sagelat apportant 22 voix favorables, cela faisait 36 voix. En imaginant que les élus de St Laurent et Carvès soient consultés et épousent le rejet unanime de St Germain, le total pourrait atteindre 33 voix.
Écoute-s'Il-Pleut. Le Valech connaît, depuis près d'un siècle, des intermittences de plus en plus sévères. Cette image prise le 14 janvier 2016 atteste que même au coeur de l'hiver, on peut voir le lit à sec.
Écoute-s'Il-Pleut, le 5/2/2004. Cette image montre le Valech recevant les eaux du déversoir amont d'Écoute-s'Il-Pleut.
Siorac-en-Périgord. Le Valech, dans quelques hectomètres, aura rejoint la Nauze qui dans un très lointain passé, dans le vocabulaire celte, désigne un grand fossé.
Toutes les photos, à l'exception du pont d'Avignon, de ce regard hydrographique sont photos Pierre Fabre.
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