Article de fond, "Nature". La tribune libre de Michel Ribette
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Qu'est ce que le bluff ?
Si vous jouez aux cartes, pour "désarmer" vos concurrents, vous aurez une attitude stratégique de quelqu'un qui veut donner le change sur votre jeu. Dans la vie courante, celles et ceux qui bluffent, s'appliquent à faire illusion, à tromper sur leurs forces, leurs possibilités réelles, voire leurs intentions.
Le bluff, manifestement, a pour but de tromper. Les acteurs de la vie politique bluffent, hardiment, avec une belle audace inouïe. Ils ont, tour à tour, affirmé qu'ils allaient réduire la fracture sociale, apporter la sécurité, éradiquer le chômage, sauver le service public... Il y a même eu un de ces "vendeurs d'illusions", l'homme du Fouquet's, qui affirma sans trembler, au cours de son ère, résoudre l'immense problématique posée par la maladie d'Alzheimer.
Pour faire illusion, le bluff est donc un comportement stratégique des humains qui, bien évidemment, malmène l'éthique et influence les plus crédules. Pour les insectes, c'est une attitude qui est la condition sine qua non de leur survie. Suivons les images, magnifiques au demeurant, comme d'habitude, de Michel Ribette dans ses observations de ces créatures qui, à chaque instant, risquent leur vie.
Pierre Fabre
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Bluffer pour survivre (1)
Pour assurer la pérennité de leur espèce, les animaux ont développé et affiné durant leur évolution, des stratégies parfois surprenantes visant à assurer leur survie. Si les plus forts usent de leur puissance, certains des plus faibles ont mis au point des ruses pour faire face et échapper à leurs prédateurs. Tout en finesse, imagination, mais jamais par hasard car ce dernier n’existe pas dans la Nature, ils nous surprendront toujours.
Tenez par exemple ce stratagème utilisé par notre très commune Mésange charbonnière.
Pour communiquer entre eux, les oiseaux s’expriment par diverses vocalises dont la variété dépend de l‘espèce. Ces expressions servent pour leurs parades, pour borner avec le chant, leur territoire respectif ou pour alerter d’un danger. Abordons ce dernier point.
Si, en hiver, les oiseaux se déplacent en bande, cela tient essentiellement au fait qu’ils peuvent ainsi partager leurs informations lors de la découverte par l’un d’eux, d’une source alimentaire ou pour signaler à la troupe, une menace. Rien de mieux et de plus efficace pour survivre que la vie en groupe.
À plusieurs reprises, j’avais remarqué qu’une mésange restait sur le poste de nourrissage hivernal associé à mon affût photo. Alors que l’ensemble des oiseaux qui s’y ravitaillaient, prenaient leur envol dans la plus grande panique, cette mésange que je considérais comme inconsciente face au danger, venait en fait de bluffer ses congénères en lançant un cri d’alerte. Ainsi, le stress gagnant l’ensemble des volatiles, permettait à notre passereau de manger en solo, en toute tranquillité. C’est la lecture d’un traité d’éthologie, science qui se consacre à l’étude du comportement, qui me permit de comprendre le pourquoi de mon étonnante observation. Pas folle la guêpe !
Eh bien, justement, parlons de ce sympathique insecte ou plus précisément de certaines de ses copies, car il ne s’agit dans les exemples suivants que de mimes. Comme vous le savez, la plupart des hyménoptères (2), dont les guêpes, possèdent un système de défense, leur aiguillon ou dard, et signalent de la dangerosité de les capturer, en arborant des couleurs vives. S’il est exclu que cela soit le fruit du hasard, il s’agit bien là de la résultante d’une spectaculaire adaptation qui a fait que certains insectes totalement inoffensifs ressemblent à notre guêpe. Rien de mieux pour se prémunir ainsi de toutes convoitises des prédateurs. Nous connaissons tous le Syrphe, cette petite mouche inoffensive au corps zébré de jaune vif et de noir, volant tel un colibri au-dessus des fleurs avant de s’y poser.
Autre insecte spectaculairement déguisé en guêpe ou plutôt en frelon, la Sésie apiforme ou Sésie du peuplier ou encore Sésie frelon, une appellation qui ne trompe pas.
Début avril, seuls les yeux les plus exercés découvriront, mais tout de même avec difficulté, ces faux brins d’herbes que sont les Empuses. A l’instar des phasmes et des grandes sauterelles vertes, ces insectes apparentés aux mantes religieuses jouent de leur mimétisme grâce à leur homochromisme pour se dissimuler dans la végétation et y attendre leurs proies. Elles affectionnent les pelouses sèches calcicoles, mes domaines d’explorations pour observer les orchidées sauvages.
Si divers animaux se servent du bluff pour assurer leur pérennité, certaines plantes ne sont pas en reste. Nos orchidées sauvages en sont de surprenants exemples, presque aussi différents que leur nombre d’espèces. Je me cantonnerai au remarquable Ophrys abeille.
Les plantes qui vivent dans l’immobilité la plus totale, invitent leurs pollinisateurs que sont les insectes par des stratagèmes maximisant leur attrait. Que font donc l’Ophrys abeille et d’autres pour garantir leur avenir ? Elles se sont tout bonnement métamorphosées en adoptant non seulement la forme mais aussi les couleurs de leur(s) insecte(s) bienfaiteurs. Chez les hyménoptères, les générations de mâles qui éclosent souvent avant les femelles, réagissent à un seul ordre naturel, assurer dès leur naissance, leur descendance. Et c’est là le secret que nous dévoile l’Ophrys. Comment susciter l’intérêt de ces mâles afin de les convaincre à fréquenter ses fleurs? Tout simplement en émettant la même odeur que leurs femelles. L’attirance s’avère irrésistible car ces derniers n’ayant jamais croisé le vol d’une congénère, iront droit où les phéromones simulées les guideront. S’ensuivra ensuite un accouplement effréné, si effréné que durant son étreinte avec leur pseudo compagne, l’orchidée déposera des sacs à pollens adhésifs sur le dos du grugé. La supercherie repérée, le bourdon, s’il s’agit de lui, repartira conter fleurette à une autre inflorescence dans laquelle il déposera son précieux « sac à dos ». Il en sera ainsi jusqu’à l’éclosion des femelles de son espèce. La reproduction des ophrys, quant à elle, sera déjà bien avancée. Ce qui m’interpelle et suscite toujours autant mon admiration, demeure cette forme d’intelligence développée, il y a fort longtemps, par une plante banale et qui lui a permis d’évoluer en perfectionnant avec minutie, toutes ces adaptations avec pour seul dessein…la vie à tout prix.
Lors d’une récente sortie dans la Nature avec les élèves de l’école primaire de Belvès, les enfants avides de découvertes et d’informations, glanèrent tout le long de notre parcours en Bessède, tous les insectes qui attiraient leurs regards. Un de ces "Tartarins" à l’œil plus affûté que les autres, me captura un phasme. Pas évident à voir tant son mimétisme avec le milieu naturel, s’avère d’une surprenante précision.
Je terminerai cette chronique Nature avec frustration car les inépuisables exemples, tous aussi surprenants les uns que les autres, fourmillent autour de nous. Mais il fallait bien faire un choix.
Chez la plupart des oiseaux la tenue de camouflage adoptée par les femelles garantit leur discrétion pour passer inaperçues le temps de l’immobilité imposée par la couvaison des œufs. Les mâles, quant à eux, arborent souvent des couleurs vives. Ces dernières indissociables du chant, sont des atouts de séduction, ce dernier étant unique aux passereaux seuls oiseaux chanteurs.
S’il en est un qui use bien de ces atouts colorés et sonores c’est bien notre familier Rouge-gorge avec ses puissantes vocalises et sa tache pectorale rouge orangé.
Cette dernière présente l’intérêt d’être à la fois un attrait de séduction mais aussi un élément de tromperie.
Pour marquer son territoire, le temps de la reproduction, notre sympathique passereau en fera le tour en chantant. Il délimitera, ainsi, de bornes sonores, son chez lui. Mais dès lors qu’un congénère, volontairement ou par hasard, violera sa propriété, la tache largement exhibée par le gonflement des plumes du poitrail, se métamorphosera en feu rouge. Et si ce bluff ne suffit pas, nos angéliques belligérants se voleront bien évidemment…dans les plumes.
Le grand éthologue Conrad Lorenz soumit, un jour, un brave rouge-gorge à ce test. Afin de vérifier l’agressivité du sympathique passereau, il lui présenta un miroir. Loin de chanter « ah ! je ris de me voir si beau dans ce miroir », la furieuse réaction du petit oiseau territorialisé dans le jardin du scientifique, ne fut pas longue à attendre. Croyant voir un concurrent, il commença d’étaler son buste couleur brique et la supercherie de la tache rouge ne suffisant pas, il se défoula à coups de bec sur sa propre image.
(Une aventure similaire m’est d’ailleurs arrivée avec un mâle bergeronnette grise qui, le temps d’un affût photo à renardeaux, prit son image dans un des rétroviseurs de ma voiture , pour un intrus et le macula de fientes sous l’effet du stress).
Le bluff n’est pas l’apanage des humains pourtant virtuoses en la matière, les règnes animal et végétal référencent également de beaux spécimens de roublards, mais pour la bonne cause, leur survie.
Restez curieux de Nature, elle est source d’émerveillement et… ne déçoit jamais.
(1) j’ai volontairement écrit pour survivre car la chute des espèces sauvages devenant très, très inquiétante voire catastrophique, je n’ai malheureusement pas trouvé de terme plus approprié.
(2) famille d’insectes regroupant nos guêpes, frelons, bourdons et fourmis, pour ne citer que les plus connus
Michel Ribette
pour Terres de Nauze…… 2019
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