Le dernier signal de départ pour Patrick Baconnier. Volet n° 1
SIORAC-en-PÉRIGORD
Dans le monde ferroviaire, les chefs de sécurité, à l'aurore des années 60, ont supplanté les chefs de gare* au sens de la réglementation de l'Instruction générale de sécurité. Au tout début des années 70, ils sont devenus des agents-circulation. La rigidité des textes qui régissent leurs prérogatives, demeure tout aussi ferme et la moindre faute peut avoir de bien graves conséquences.
Les agents-circulation ont cependant perdu le panache d'antan et la rigueur vestimentaire de ces opérateurs a connu divers assouplissements. Le chef de gare des premières heures de la S.N.C.F, tiré à quatre épingles, héritage d'une culture quasi-militaire de l'ère impériale, n'est plus de mise de nos jours.
Il existe cependant des règles immuables de sécurité qui, heureusement, demeurent encore et toujours d'actualité. Les textes règlementaires appris par les générations d'élèves depuis la refonte de 1948, ils s'appropriaient les règles avec les questions-pièges d'examen, où s'imposaient l'IGIS, les IGS, le Titre IV voie unique, et l'I.C.T, bien des décennies après, demeurent dans le "disque dur" de ces agents qui n'avaient aucune latitude d'interprétation des règles sécuritaires. Certains de ceux-ci qui, depuis bien des années, ont refermé le plumier, parlent encore du temps moral qui était une bien vieille règle, des installations d'antan, à ne jamais perdre de vue. Le temps moral est le délai qu'il faut observer, avant l'annulation de l'enclenchement d'approche, entre la fermeture d'un signal non muni de l'enclenchement d'approche et l'exécution des passages protégés par ce signal.
Parmi ces impératives règles sécuritaires, il en est une qui, en quelque sorte, concrétise la finalité de la gestuelle, avec le signal de départ. Cet acte libératoire découlait jadis de l'IGS 13, instruction générale remaniée depuis en le S2C art 207 devenu IN1514. Cette permissivité émise par l'agent-circulation à l'intention du conducteur, après avoir réuni tous les paramètres sécuritaires de voie libre et d'ouverture du signal, lui signifie qu'il peut partir en parfaite quiétude, jusqu'au prochain jalon de son parcours. C'est une forme de dialogue, par voie de signal conventionnel, agençant une directive et son exécution. C'est, en quelque sorte, l'équivalence laïque d'un rituel de prêtre suivi par ses adeptes. Ce tout dernier signal de départ pour Patrick Baconnier, pour le TER n° 65816 [Agen-Périgueux] sera quasiment, avant la remise des clés, l'acte final de sa carrière.
* Le chef de gare, terme d'antan à double sens, désignait le personnage hiérarchique, clé de voûte de la gare. C'était, dans un passé qui n'est pas si lointain, un petit notable dans les localités où l'activité ferroviaire était prédominante. Ainsi, les chefs de gare du Buisson, de Serquigny en Normandie, de Carnoules, village des Maures, ou de la toute petite commune de Merrey, sur le plateau de Langres, avaient rang de personnalités locales. Le chef de gare, personnage investi de mission sécuritaire, dont la position hiérarchique pouvait être bien modeste, était, pendant son service, l'agent qui était le pivot humain de la circulation dans son site. Bien entendu, hiérarchiquement, le chef de gare de Siorac-en-Périgord et celui de St Pierre-des-Corps, noeud ferroviaire capital de la Touraine, n'avaient pas le même positionnement hiérarchique. Ces gardiens du temple étaient néanmoins comptables du même concept sécuritaire.
Patrick, au sens des textes sécuritaires, a été le dernier "chef de gare" de Belvès. Le dramatique nez-à-nez de Flaujac, du 3 août 1985, a activé le profond remaniement du vénérable cantonnement* téléphonique séculaire. Celui-ci supplanta, il y a bien longtemps, le cantonnement initial dit des bâtons. Le cantonnement assisté par informatique, CAPI, est le système de cantonnement ferroviaire français, utilisé par la SNCF sur les voies uniques, pour renforcer la sécurité du cantonnement téléphonique.
Patrick n'a pratiquement connu le cantonnement téléphonique que quelques années.
* Cantonnement : méthode de régulation de l'espacement des circulations.
Patrick, pris devant la Niche Dejean. Cette grotte artificielle creusée dans la colline était, bien plus d'un siècle après la Nuit du 4 août 1789, un privilège que Déjan de Fonroque, maire de Belvès de 1904 à 1942, directeur du chemin de fer de l'État *, avait imposé pour garer "sa" voiture. Dans le jargon ferroviaire, on désigne voiture, le véhicule transportant des voyageurs, les wagons sont affectés au fret.
Le garage de la voiture Déjean nécessitait une manœuvre de corps d'armée pour l'ajouter ou la retrancher du train qui reliait Belvès à Paris, alors le Quai d'Orsay. Il fallait manœuvrer quatre plaques tournantes car la niche était perpendiculaire aux deux voies principales de l'époque et des deux voies de service.
On disait beaucoup de choses sur André Déjean de Fonroque. D'aucuns allaient jusqu'à avancer que si le train nocturne s'arrêtait à Belvès, c'était grâce à lui. On oubliait volontiers que le même train desservait d'autres petites localités comme Siorac ou Les Eyzies. Il faut néanmoins souligner que, lors de son passage aux affaires, l'eau du souterrain de Latrape, par son insistance, arriva à Belvès, par le phénomène gravitaire. Le castrum obtint aussi l'électricité au début du siècle.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce personnage, célibataire, ne péchait pas par excès de modestie. Ironie de l'histoire, cet ardent conservateur fut démis de ses prérogatives de maire de Belvès, pendant la gouvernance du régime de Vichy, qui mit de facto, le 11 juillet 1940, un terme à la Troisième République.
* Le chemin de fer de l'État " était celui de l'ouest du pays. Belvès était dans la partie sud du chemin de fer d'Orléans, localement appelé P.O.
Photos Pierre Fabre
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