Terres de Nauze

L'accident du 23 mai 1920

 

 

 

Que se passa-t-il, il y a tout juste un siècle, peu avant minuit, au  22 rte de Chapelon à Mignerette (Loiret), à une quinzaine de km de Montargis.

 

Le président de la République, fraîchement élu par l'Assemblée nationale, avait pris le train présidentiel, afin de se rendre à Montbrison pour parachever l'hommage républicain à l'inauguration du monument aux morts de la Guerre de 14. Sur celui-ci, figure le nom d'Émile Reymond, sénateur et pionnier de l'aviation. Ce dernier trouva la mort en 1914  après que son avion fut abattu. 

 

 

 

Sénateur Raymond

 

Le président avait chaud dans le train présidentiel. Il crut ouvrir une fenêtre pour se rafraîchir et a alors ouvert une porte. Il chut sur le ballast. Le train, à ce moment-là, roulait à vitesse très réduite. Son illustre voyageur s'en tira avec quelques ecchymoses.

Après sa chute, Paul Deschanel se dirigea vers le premier passage à niveau pour chercher du secours. Ses hôtes ne croyaient pas qu'ils étaient en présence du chef de l'état. C'est le médecin agréé du P.L.M. qui vint pour les soins, qui le reconnut formellement.

 

 

PN  78

 

La petite histoire de la garde-barrières, du P.N. 78,  ligne Malesherbe-Montargis, X Dariot, a dit qu'elle a bien vu qu'elle avait affaire à un monsieur parce qu'il avait les pieds propres. Ce propos fit beaucoup sourire.

André Radeau, cheminot de son état, avait eu la surprise de trouver au cours de l’une de ses rondes nocturnes, ce personnage insolite au bord de la voie.

 

 

Radeau

 

– Ce que je vais vous dire va certainement vous étonner, mon brave mais… Je suis le président de la République.
– Oui, enchanté. Moi c’est la reine Elizabeth.
– Mais non, mais… je vous assure !
– Oui ! Moi aussi !

Le brave Radeau conduit ce vieil ivrogne à la maison du garde-barrières le plus proche, un certain Gustave Dariot.

– Eh, Gustave ! Regarde un peu ce que je te ramène ! Ce vieil ivrogne se prend pour le Président de la République !
– Ah ah ah !
– Mais… mais… si, je vous assure! Je… je suis Paul Deschanel !

Le garde-barrières commence tout de même à avoir de sérieux doutes… L’ " ivrogne" tient étrangement des propos très cohérents, et étant donné ses ongles manucurés et ses pieds soignés, il est très probable qu’il appartienne à la haute société.

 

[ Source Revue Histoire "Le pathétique accident de Paul Deschanel".]

 

 

Stèle accident Deschanel

 

 

 

 

 

L'Élysée, ce redouté et redoutable pouvoir, point d'orgue de la vie publique.

 

 

 

J'étais, certes, fort jeune quand notre IVème République fut précipitée dans les poubelles de l'histoire, si j'osais je dirais fut assassinée ! Enfant, j'entendais cependant les citoyens fulminer contre le pouvoir, les pouvoirs, dont, bien entendu, j'ignorais qui détenait les clés. Je puis cependant dire que je n'ai pas le moindre souvenir d'une  critique formulée contre le chef de l'État. À l'époque, je suppose qu'il était pris soit pour un grand sage, admis par tous, soit pour peu de chose dans l'écrasante responsabilité de ceux qui n'ont pas su, ou pu, prendre les dispositions salutaires et démocratiques pour clore cet engouement à imposer la souveraineté tricolore là où, manifestement, elle n'était point désirée. J'ai, vaguement, entendu des satisfactions, au bénéfice de Mendès-France, pour le dénouement de la Guerre d'Indochine.

 

Il est permis aux seniors affirmés de se rappeler de la délicatesse exquise du président Coty. Il fut "prié" de se retirer car sa présence, tout juste protocolaire, faisait de l'ombre à un "impétrant" impatient qui tenait à sceller son destin qui se voulait plus historique. Loin dans l'histoire de la IIIème République, j'ai entendu parler de ce brave président Fallières. Il préféra modestement retourner dans ses vignes du Néracais plutôt que de rechercher un second septennat.

 

Plus proche de nous, le président Auriol, avec son accent truculent, n'avait, a priori, rien d'un tribun tonitruant qui recherchait, à tout prix, que la première place, dans tous les domaines, lui soit réservée et soulignée ; mais, néanmoins, selon certains témoignages journalistiques, il vivait assez mal d'être informé par la presse de l'avancée des événements.

 

…  mes conseils s’arrêtent au seuil de la décision. Je n’ai pas le droit de décider, j’ai le devoir d’avertissement et de conseil. Cela exige une étude complète de tous les dossiers, lecture des rapports des préfets et des ambassadeurs et de tous les documents concernant la vie économique et sociale de la nation dans la permanence de son existence… »

 

Le président Auriol fut un homme simple. Il laisse l'image d'un grand travailleur qui fut un homme d'état profondément républicain.

 

L'humilité et l'effacement feraient, sans doute, dans un régime présidentiel, aussi singuliers que la mondanité dans un chahut de corps de garde.

 

 

 

Quelques mots sur Paul Deschanel.

 

 
Paul Deschanel — Wikipédia

 

 

Son cursus, plus que brillant, fut brillantissime. Il rêvait de l'Élysée, ce virus n'a pas été éradiqué de nos jours, et il l'obtint en écartant sur la route, un homme autoritaire qui inquiéta les députés par son profil  quasi "jupitérien". Selon les historiens, le président aurait voulu redéfinir les prérogatives élyséennes.

 

Deschanel obtint un score de général sud-américain, 734 suffrages contre 134 répartis diversement avec 94 % de participation.

 

L'accident de Deschanel ébranla l'opinion. Les chansonniers et les feuillets satiriques s'en donnèrent à cœur joie, laissant de côté le respect dû au chef de l'état.

 

La santé mentale du président vacilla et les situations ubuesques l'ont amené à se démettre. Alexandre  Millerand lui succéda mais il ne parvint pas à faire aboutir son concept de révision constitutionnelle.

 

Paul Deschanel se remit de ses problèmes de santé et termina comme sénateur, son parcours politique.

 

In fine. La personnalité du chef de l'état, dans les pays où un semblant de démocratie est admis, apparaît être une recherche permanente de cible,  parfois avec raison, souvent à tort. La dérision qu'inspira l'accident de Paul Deschanel, à titre personnel, me semble une offense à la bienséance. On n'a pas le droit de se moquer de quelqu'un en souffrance. Ce fut, par ailleurs, une offense à la République elle-même.

 

Paul Deschanel avait certainement des défauts mais aussi des qualités intrinsèques qui permettent, un siècle après le 23 mai 1920, de dire qu'il fut un  grand serviteur de l'état

 

 Pierre Fabre

 



23/05/2020
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