L'essai de Coucounel conté par Guy Marty. Un exploit mythique !
Photo © Bruno Marty |
Qui est Guy Marty.
Guy Marty naquit à Belvès en 1932. Après sa scolarité à l'École primaire supérieure, l'ancêtre du collège-lycée des Remparts, il poursuivit ses études à Belvès, Talence, à Sceaux (Lakanal) puis en Faculté de droit à Paris. Il entra aux P.T.T. en 1952 au bureau de Belvès et quitta le Périgord pour rejoindre la capitale où il devint fonctionnaire supérieur de La Poste. Aujourd'hui honoraire, il partage son temps entre l'historique demeure familiale de ses aïeux maternels et la Côte d'Azur.
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Fils de résistante et de résistant, Guy suit toujours l'histoire locale, notamment les épisodes du chemin de mémoire de l'épopée frondeuse, pour honorer les partisans qui, sous la houlette de Georges Marty, son père, ont défié "l'ordre établi".
P.F
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Puisqu’un article récent sur le rugby belvésois a été publié sur ce blog, continuons à en parler…
Dans les années 70, le journaliste Denis Lalanne (mort l’année dernière) grand spécialiste du rugby au journal l’ÉQUIPE, était également responsable d’une émission à l’ORTF consacrée à ce sport. En 1972, il avait demandé aux auditeurs de sa rubrique, de lui transmettre des récits sur les matchs afin de le diffuser à l’antenne. Je lui avais donc adressé le texte qui figure ci-après.
En récompense, j’avais été retenu pour assister à un IRLANDE - FRANCE en compagnie de 14 autres gagnants, avec lesquels nous embarquâmes de très bonne heure à ORLY pour DUBLIN où nous passâmes toute la journée (transfert, restaurant, stade et après-match !) dans une ambiance très "rugbystique" du Sud-Ouest.
Guy Marty
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L’ESSAI DE COUCOUNEL
En ce dimanche neigeux, veille de Noël 192…, l’équipe de BELBE affrontait sur son terrain bosselé et pentu, le quinze de CHINCHIBRAU, village voisin.
Parmi les joueurs belbésois, surnommés "les sangliers de la Béchédau" du nom de la forêt toute proche, se trouvait l’infatigable et inusable COUCOUNEL.
Visage rond et rougeaud, court sur pattes, de grosses mains et des bras puissants de paysan, pesant près du quintal, COUCOUNEL était, en effet, l’inamovible pilier de l’équipe.
Comme tous les dimanches, petit béret noir enfoncé jusqu’aux oreilles, culotte descendant en-dessous des genoux, l’air toujours féroce bien que pas méchant pour un sou, suant et soufflant, il était toujours un des premiers à se trouver où le danger se faisait sentir pour son camp et en particulier là ou le ballon est souvent chaud et brûlant.
Et pourtant, il n’avait pas l’occasion de la toucher souvent cette balle bizarre et aussi capricieuse qu’une jeune fille de son Périgord natal. Par contre, il pouvait l’apercevoir de temps en temps au-dessus de sa tête lorsque BERCENAC, le grand trois quart aile faisait les remise en touche. En mêlée aussi, il la voyait passer au ras de son nez pour atterrir finalement dans une forêt de jambes ; il arrivait même quelquefois que ce satané ballon lui effleura l’une ou l’autre de ses chevilles, moins souvent cependant que les godasses d’en face ! Qu’importe, COUCOUNEL était un brave et il aimait trop le "ruby" pour s’en plaindre.
Or, voici qu’au cours de la deuxième mi-temps de ce match amical, par un rebond heureux et malicieux, peut-être, aussi, la balle tant convoitée des joueurs vint échouer dans les bras - vous entendez - dans les bras de COUCOUNEL !
Ah mes aïeux ! Le moment de stupeur et d’ahurissement passé - et vite passé, croyez-le - COUCOUNEL, mû par je ne sais quel ressort, partit comme une flèche à l’assaut du camp adverse, le ballon bien serré par sa main puissante de campagnard contre sa poitrine et son cœur.
Il avait déjà fait une trentaine de mètres, avec toute la meute déchaînée à ses trousses, lorsque BERCENAC l’ailier longiligne qui remontait le terrain à toutes enjambées, arriva presque à sa hauteur, sur sa droite, et lui cria : "passe COUCOUNEL, passe, c’est le moment ! "
COUCOUNEL n’entendit rien ou ne voulut rien entendre… et fonça de plus belle.
"Lou pacho COUCOUNEL, milaudiou fâ lau pacho ! " (1) hurla BERCENAC qui croyait qu’en le disant en patois, il aurait plus de chance d’être écouté.
Ah oui, pensez-donc ! COUCOUNEL stoppa net et, superbe, il envoya à tous les échos et à l’adresse de BERCENAC, bien entendu :
"per oun cau qué lou teini podé courré, te emmerdi l’aoura pâ ! " (2)
Son brusque arrêt avait opportunément mis deux adversaires dans le vent, complètement pris à contre- pieds. Mais il restait bien encore quinze ou vingt mètres à parcourir.
Ils furent certainement très durs, car tel un vrai sanglier, tête baissée et le béret lui servant de casque, il dût percuter deux autres joueurs de CHINCHIBRAU qui lui barraient la route, se débarrasser d’un coup de reins étonnant d’un troisième qui avait tenté, un instant, de s’accrocher à sa taille et il renversa même le jovial LAPOUILLE, son propre talonneur et capitaine, qui venait lui prêter main forte sur sa gauche.
Finalement, comme un obus, il passa entre les poteaux de CHINCHIBRAU, franchit l’en but et s’aplatit avec le cher ballon… trois à quatre mètres après la ligne de ballon mort !!!
Sur la touche, les fidèles supporters qui avaient stoïquement affronté le froid, faisaient du bruit comme s’ils étaient cent ou mille et lorsqu’après cinq bonnes secondes, COUCOUNEL se releva enfin, le visage blanchi par la neige et le ballon toujours accroché à ses bras vigoureux, il reçut une ovation monstre, une ovation à vous faire monter les larmes aux yeux.
Sur le terrain, personne n’en revenait. L’arbitre, les joueurs de CHINCHIBRAU et tous les Belbésois restaient sidérés, pantois.
Il ne fut bien sûr pas question de lui refuser son exploit, ni même de l’amoindrir par quelques considérations techniques sur les règles de ce jeu et la limite des terrains !
C’est ainsi qu’en ce 24 décembre 192…, alors que le public continuait à vociférer de joie, le charmant instituteur, M. LANTOURNE, accorda sans aucune ombre d’hésitation, l’essai que les joueurs adverses, sportifs comme on voudrait qu’ils fussent tous, ne bronchèrent absolument pas et que, parmi les partenaires - BERCENAC et LAPOUILLE notamment – stupéfaits mais tellement heureux au fond d’eux-mêmes, pas un reproche ne s’éleva sur la façon un peu trop personnelle qu’avait le brave COUCOUNEL de concevoir le jeu de rugby.
Un essai comme celui-là, le premier qu’il marquait de sa vie - sans doute aussi le seul et unique de sa longue et fidèle carrière de rugbyman - fut assurément pour notre gaillard à l’écorce rude, au parler sans fioriture, à la vaillance sans bornes et au cœur d’or, le plus beau des cadeaux de Noël.
Photo d'archives Marty
On reconnaît de gauche à droite :
Au premier rang,
Jean Fourteau, Paul Picot capitaine, René Marie
au deuxième rang,
X. Roquejoffre, X. Salanier, Roger Allègre, Georges Marty, André Brouqui
au troisième rang,
E. Valadier, Jean Amouroux, X. Billon, P. Junières, X. Guillon, X. Barthoumieux, X. Miquel (dit Marceau), X. Raymond Miquel et X. Chaud.
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